Verbatim : La puissance de la joie de Frédéric Lenoir

7 février 2020
Leadership

Ed. Fayard 2015

  1. Le plaisir, le bonheur et la joie

Il n’y a pas de bonheur sans plaisir, mais, pour être heureux, nous devons apprendre à discerner et à modérer nos plaisirs.

La « voie du juste milieu », celle de la tempérance et de l’équilibre, qui est aussi source de bonheur. La tradition chinoise donne à cette voie le nom d’ »harmonie », un état d’équilibre permettant la circulation fluide de l’énergie.

On évoque des « moments de bonheur », alors que pour les philosophes et les sages, le bonheur ne peut être fugace, c’est un état durable, l’aboutissement d’un travail, d’une volonté, d’un effort. En fait, nous confondons plaisir et bonheur et nous sommes bien davantage en quête de plaisirs sans cesse renouvelés que d’un bonheur profond et durable.

En même temps que ce sentiment d’euphorie, la joie apporte une force qui augmente notre puissance d’exister. Elle nous rend pleinement vivants.

  1. Les philosophes de la joie

  • Michel de Montaigne
  • Baruch Spinoza : Permettre une conversion du désir vers les joies les plus actives, donc les plus vraies, les plus profondes et les plus durables.
  • Friedrich Nietzsche : Le principe de joie, c’est la puissance et tout ce qui augmente notre force vitale.
  • Henri Bergson : La vie existe pour être créatrice. Et la joie est intrinsèquement liée à la création, elle est l’expérience d’aboutissement de la vie : quand la vie réussit, quand elle atteint ce pour quoi elle est faite, on est dans la joie.
  1. Laisser fleurir la joie

Il existe un état d’esprit, un certain nombre d’attitudes, de manières d’être, qui nous permettent de créer ce terreau propice à la venue de la joie :

L’attention : Il nous faut réapprendre à voir, à toucher, à regarder, à sentir, mais aussi à ressentir intérieurement, à ne pas nous couper de nos émotions.

La présence : Elle va au-delà du simple fait d’être attentif. Elle est une attention qui engage tout notre être : nos sens, mais aussi notre cœur et notre esprit.

La méditation : La pleine conscience ne consiste ni à penser ni à réfléchir, mais simplement à être attentif. Je préférerais nommer la mindfulness « pleine attention ».

La confiance et l’ouverture du cœur : Accepter la douleur, c’est le prix à payer pour une vie émotionnelle riche…Pour ouvrir son cœur, il faut avoir confiance dans la vie.

La bienveillance : La joie est le fruit d’un amour altruiste qui consiste à se réjouir du bonheur de l’autre. Cet amour et la joie qui l’accompagne prennent racine dans la bienveillance, maitri en sanskrit, que ressent le pratiquant envers tout être vivant.

La gratuité : La joie survient bien souvent quand on n’attend rien, quand on n’a rien à gagner.

La gratitude : C’est d’abord remercier la vie, ne pas se montrer ingrat envers elle, mais c’est aussi savoir lui rendre ce qu’elle nous a donné. La vie est un échange permanent. Nous recevons, apprenons à donner.

La persévérance dans l’effort Ma joie était à la mesure de l’effort consenti et de l’angoisse surmontée. Nous avons tous fait l’expérience de ces belles joies, fruits de la persévérance dans l’effort.

Le lâcher-prise et le consentement : A partir du moment où l’on n’est plus dans l’obsession de tout maîtriser, nous nous plaçons dans une attitude d’ouverture du cœur, dans une disponibilité d’esprit propice à la joie.

L’expérience taoïste du lâcher-prise nous met dans la joie du flux. En y consentant, on accepte d’accompagner le mouvement de la vie, d’épouser ses formes jaillissantes, parfois surprenantes. On accepte de prendre le risque de vivre en permanence déstabilisé.

La jouissance du corps : J’adore ressentir et amplifier cette exultation du corps. 

  1. Devenir soi

Le premier chemin consiste à aller vers soi : c’est ce que j’appelle la joie de la libération. Le second consiste à aller vers les autres et à s’accorder au monde : c’est la joie de la communion.

Le processus d’individuation est un travail de dé-liaison qui procède d’un double effort d’introspection : prendre conscience de ce qui ne nous convient pas, de ce qui n’est pas nous et, conjointement, prendre conscience de ce que nous sommes vraiment, de nos véritables besoins et de notre nature profonde.

Spinoza nous enseigne que la plus grande servitude, celle qui nous plonge dans la plus grande peine, c’est la servitude à l’égard de nos propres passions. Rien n’est plus important que d’accomplir ce patient travail sur nous-mêmes : nous affranchir de nos tyrans intérieurs, non seulement pour parvenir à la joie mais aussi pour améliorer le monde.

Pour Spinoza, la liberté, c’est l’autonomie. Chaque progrès sur la voie de la libération conduit à la joie…Plus on se libère de ce qui nous aliène, plus on est joyeux.

Un être humain qui est parvenu à surmonter ses passions, à les transformer en joies actives, ne peut plus nuire à autrui. Il a vaincu en lui l’égoïsme, la jalousie, l’envie, le besoin de dominer, la peur de perdre, le manque d’estime de soi ou une trop grande estime de soi, bref tout ce qui crée les conflits entre les individus et les guerres entre les peuples. 

  1. S’accorder au monde

L’amour d’amitié

Philia est toujours fondé sur la réciprocité : il ne consiste pas à aimer quelqu’un qui ne nous aime pas, mais une personne avec laquelle nous nous encourageons mutuellement, nous nous aidons réciproquement à nous épanouir, à nous accomplir…Il comporte une dimension sans laquelle aucun amour ne peut être vrai ou épanouissant : la joie de pouvoir être pleinement soi, et d’aider l’autre à être, lui aussi, pleinement lui-même…Il a besoin de gratuité et de réciprocité, faute de quoi, il bascule dans le sacrifice et dans la tristesse.

De la passion amoureuse à l’amour qui libère

Dans sa forme la plus authentique, l’amour relie deux êtres autonomes, indépendants, libres de leurs désirs et de leurs engagements. Un espace doit donc toujours exister entre les deux amants.

Ma vision de l’amour : je le vois comme une relation ouverte et saine, où l’on est heureux que l’autre ait un jardin secret, où il peut déambuler à sa guise, avoir des amis, des relations qui lui sont propres sans que nous vivions pour autant dans une insécurité permanente. J’y vois un état d’esprit où l’on se réjouit profondément de ce qui réjouit l’autre.

La joie du don

Sans la joie que procure le don, qu’en serait-il de l’entraide ou du partage ?

Aimer la nature…et les animaux

En respectant la nature et la vie, l’être humain s’accorde au monde, il a une attitude éthique juste. En faisant l’inverse, il se désaccorde de son environnement naturel, le violente, et, tôt ou tard, le paiera cher.

  1. La joie parfaite

Le mental et l’ego

L’ego est le support de nos émotions : peur, colère, tristesse, joie…qui contribuent de manière déterminante à la construction de notre personnalité…Le mental a une fonction vitale : il nous permet de survivre.

Lâcher le mental, ne plus s’identifier à l’ego

Ego et mental cessent d’être aux commandes. Ils n’ont plus le contrôle de notre vie. La raison et l’intuition -le Soi hindou- prennent alors le pas sur le mental et l’esprit, sur notre construction égocentrique.

Ainsi le travail de libération intérieure (dé-liaison) et de juste communion avec le monde (reliaison) nous permet de ne plus voir l’ego et le mental comme les uniques pilotes de notre existence. Nous cessons de nous identifier à notre ego, et la connaissance rationnelle et intuitive de nous-mêmes et du monde remplace les opinions du mental. Nous devenons alors pleinement nous-mêmes, et cette plénitude, loin de nous renfermer, nous relie avec les autres, le monde, l’univers, le divin.

Un chemin progressif vers la joie pure

Chaque pas en avant nous libère un peu plus, ouvre davantage notre cœur et agrandit la puissance de notre joie.

Ne pas vouloir « tuer » l’ego

La joie profonde qui m’habite désormais vient de ce long travail de libération et de communion, de dé-liaison et de reliaison, de lâcher prise et de consentement à la vie que je mène depuis bientôt trente ans…et le chemin est loin d’être fini !

  1. La joie de vivre

La joie spontanée des enfants

C’est sans doute l’un  des bienfaits de la grande vieillesse, pour ceux qui acceptent d’abandonner le contrôle de leur existence, d’être fragiles, d’avoir besoin d’aide dans leur vie quotidienne. Ils redeviennent souvent comme des enfants et sont dans la joie de vivre.

La joie d’une vie simple

J’ai alors compris ce qu’est la joie de vivre : c’est recevoir la vie comme un cadeau et s’en réjouir. Or, de nos jours, en Occident, nous recevons bien souvent la vie comme un fardeau qu’il faut assumer.

Libérer la source de joie qui est en nous

Nous voulons vivre plus et souhaiterions être immortels, alors qu’il nous faudrait apprendre à vivre mieux et à toucher à l’éternité dans chaque instant pleinement vécu.

La force du consentement

La joie parfaite réside dans ce grand « oui sacré » à la vie, dans la force du consentement…Ce dernier, l’acceptation de ce qui est, ouvre la porte à la joie de vivre. L’enfant et les gens simples sont dans la joie car ils acceptent la vie comme elle est… Ils prennent la vie telle qu’elle s’offre à eux, savent recevoir ce qui est donné, n’exigent pas que la vie soit autre.

 La joie donne sens à la vie et au monde

Si notre âme, un instant, a, comme une corde, vibré et résonné de joie de vivre, alors toutes les éternités étaient nécessaires pour que cet unique événement ait lieu.

Epilogue : La sagesse de la joie

La seconde quête de sagesse aspire davantage à la joie parfaite qu’à l’absence de trouble ou à la sérénité. Elle est moins portée sur la répression des passions et des instincts (première quête de sagesse) que sur leur conversion vers un accroissement de la joie. Elle ne prône pas un idéal de renoncement, mais de détachement, c’est-à-dire de vie joyeuse dans le monde, sans asservissement aux plaisirs mondains et aux biens matériels. Elle croit plus en la puissance du désir et de la joie qu’en la force de la volonté pour atteindre la sagesse, i.e. une joie permanente que rien ne peut détruire, ce qui constitue une autre manière de parler du bonheur.

C’est cette sagesse de la joie, inspirée de Spinoza comme des Evangiles, en laquelle je crois, vers laquelle je tends, que j’essaye, avec toutes mes faiblesses et mes fragilités, de vivre un peu mieux chaque jour et de transmettre avec bonheur.